Faites-moi le plein!

- Le Blog [in]dispensable de GianHoi -

7 février 2012

2 1936-2012

Ce matin, en voyant le nom de ma belle-mère s'afficher sur l'écran du portable qui sonnait, je n'ai pas pu décrocher. Elle ne téléphonait pour me donner des nouvelles qu'en soirée. C'était forcément l'appel que je redoutais. J'ai pris quelques instants avant d'écouter le message, essayant de trouver mille autres raisons de m'appeler à cette heure. Je n'en ai trouvé aucune.

"J'ai une très mauvaise nouvelle. Ton père est décédé hier soir".

Voilà. C'est fini. Il aura fallu deux mois à peine pour que la maladie l'emporte.

J'avais repris contact avec lui quelques temps avant mon séjour en Allemagne. Le divorce de mes parents avait causé des dommages collatéraux dont j'avais fait partie. Nos chemins s'étaient séparés pendant près de 25 ans. Adolescent, je lui en ai voulu. Avec le temps, je m'étais habitué à son absence. La seule chose qui m'importait était de savoir qu'il était heureux avec la nouvelle famille qu'il avait fondé. De plus, j'avais régulièrement de ses nouvelles par le biais de ma sœur qui avait toujours gardé le contact.

Et puis, à la fin de l'année dernière, elle m'envoya un mail. Elle m'annonçait que le cancer qu'il avait vaincu 7 ans auparavant était revenu et qu'il reprenait les séances de chimio. Sur la photo jointe, un vieillard amaigri assis sur un fauteuil ambulatoire. J'étais choqué. Je ne le reconnaissais pas.

Renouer un lien après un quart de siècle n'est pas facile. Je ne voulais surtout pas parler du passé, du pourquoi nous en étions arrivés là. Cela n'avait plus d'importance et ça n'aurait rien changé de toutes façons. Nous avons discuté au téléphone pendant près d'une heure, de tout, de rien. Il avait l'air d'être en forme mais je savais qu'il donnait le change. Les chiens ne font pas des chats. Nous décidâmes de nous voir à mon retour, après les fêtes.

Le week-end de nos retrouvailles, ma sœur avait également fait le déplacement. Bien qu'elle ne pouvait rester que deux jours, j'étais soulagé qu'elle puisse faire le lien après toutes ces années. Soulagé et décontenancé à la fois car c'était très bizarre de la voir là, en plein hiver, alors qu'on ne se voyait que chez elle, en été. Mon demi-frère n'avait pu venir, bloqué par ses obligations professionnelles.

Quand mon père me vit entrer dans la pièce, il versa quelques larmes en me serrant contre lui. Quelques jours plus tôt, il avait - en accord avec les médecins - arrêté les séances de chimio, car il ne les supportait plus. J'avais décidé que, quoiqu'il arrive, je devais rester fort. Je ne devais pas craquer devant lui. Ne pas lui montrer que je savais qu'il était condamné. Ne pas lui faire sentir qu'il allait nous quitter. Et ne pas craquer non plus devant sa femme et sa fille qui, elles, avaient besoin d'une épaule solide pour se laisser aller.

Les quelques jours que j'ai passé avec lui firent ressurgir le gamin que j'étais jadis. Je l'écoutai parler de sa passion pour le tir-à-l'arc, de ses souvenirs de l'armée en Afrique, de ses anecdotes de travail. Il me montra les meubles qu'il avait fabriqués (autant dire tous ceux de la maison), ce qu'il avait bricolé pour se rendre la vie plus facile et me donna quelques astuces pour réparer tel ou tel truc. Je réalisais alors à quel point il m'avait manqué, combien j'aurais pu apprendre à ses côtés.
Nous passâmes beaucoup de temps dans son bureau. Très au fait d'internet et féru d'informatique, il avait scanné toutes ses photos d'époque et était visiblement ému en les visionnant. Plus que des photos, il me montrait le film de sa vie.

Il pleura lorsque je dus partir. Il fit la promesse qu'il attendrait ma prochaine visite, que je fis une dizaine de jours plus tard. Je ne savais pas encore que ce serait une terrible épreuve.

Son état de santé s'était, en quelques jours, considérablement dégradé. Il ne pouvait que difficilement se déplacer et ne quittait pratiquement jamais son fauteuil. Communiquer lui demandait un réel effort. Lucide, il ne supportait pas de se voir amoindri, et la nuit tombée, il craquait.

Le soir de mon départ, C., sa femme, me laissa quelques instants en tête-à-tête avec lui pour que je lui dise au revoir. Mais je n'y arrivais pas. Rien ne sortait. Cet au revoir sonnait comme un adieu et je ne pouvais m'y résoudre. Elle revint dans la pièce et lui annonça que je devais partir. A nouveau, ses yeux se remplirent de larmes et il me regarda longuement. Il savait que c'était la dernière fois. C'était plus que je ne pouvais le supporter, et à mon tour, j'éclatai en sanglots.


Au revoir Papa.

2 commentaires :

  1. oh...Giannick... :( ....quel dommage, ces années perdues....et que les divorces qui se passent mal peuvent donc faire des dégâts, en effet.....je pense bien à toi...bisou

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  2. J'ai lu ce texte avec énormément d'émotion.
    Avant d'avoir d'avoir rencontré tant de gens ayant subi le divorce de leurs parents, je n'imaginais pas la chance que j'avais eue d'avoir vécu avec mes deux parents ensemble.
    Ça ne m'a pas empêché de ressentir la douleur que vous (tu ?) avez (as ?) éprouvée.
    "...car tout le temps perdu ne se rattrape guère, car tout le temps perdu ne se rattrape plus..." chantait la Longue Dame Brune.

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